14. Bob Verschueren
"Le clan des voltigeurs"
Bob Verschueren utilise les éléments de la nature comme moyen d’expression. À partir de végétaux issus du lieu investi, il transforme arbres, branches, feuilles... en sculptures spectaculaires, évoquant à la fois la splendeur et la déliquescence de toute chose vivante. Chaque pièce poursuivant une réflexion à la fois sur l’homme, sa vie, sa mort, et sur le lien que ce dernier entretient avec son environnement naturel. “Chacune a valeur de métaphore et non de symbole. Je ne souhaite pas encapsuler mes installations dans des lectures obligées, univoques. Je préfère les garder ouvertes à la lecture de chacun, avec sa propre sensibilité, ses propres acquis. Je cherche à ce qu’elles aient un caractère événementiel. Lorsqu’une installation entre en résonnance avec le lieu qui l’accueille, elle se pose alors comme une évidence, établissant une tension entre l’intemporel de la proposition et son caractère éphémère”, précise l’artiste.
Bob Verschueren intervient au Domaine de Chaumont-sur-Loire depuis 2010. À l’époque, deux arbres déracinés sont superposés dans le pédiluve de la Cour de la Ferme (Réflexions) tandis qu’un trône géant de bois et de feuilles s’expose dans la Grange aux Abeilles (Le règne végétal) et qu’une installation, dans la Galerie du Fenil (L’Enjeu), invite à réfléchir sur la propension de l’homme à détruire. Depuis 2019, au milieu du sous-bois, une sorte de serpent émerge d’une souche d’arbre. Celui-ci ondule entre les arbres alentour et termine son cheminement en s’enfonçant d’un dernier bond dans le sol. Chemin de vie évoque la destinée de l’arbre, qui vient de la terre et retourne à la terre. “Mes installations ne contiennent pas de messages. Elles évoquent mes questionnements sur les rapports antinomiques entre la vie et la mort, la création et la destruction, sur la place de l’homme dans la nature et les relations entre éthique et esthétique”.
Pour réaliser ses installations, Bob Verschueren cueille, récolte, trie, assemble des éléments qu’il récolte dans l’espace environnant. La nature fragile et périssable des matériaux qu’il utilise lui impose une négociation permanente avec la nature. Les propriétés des matériaux induisent un processus expérimental de travail que l’artiste plébiscite remettant souvent en question le projet initial. “Il me faut une part d’incertitude, une chance d’être surpris. Travailler avec les éléments de la nature exclut le risque de tout maîtriser, de s’ennuyer.”
Poursuivant une recherche sur la notion d’impermanence, Bob Verschueren s’intéresse particulièrement à la métamorphose et à la dégradation de la vie végétale. En effet, ses œuvres ne sont pas toujours conçues pour durer, mais souvent pour vivre le temps d’une exposition, avant de se laisser disparaître. Intention qu’il partage d’emblée avec le visiteur en l’incitant à porter son regard sur ce qui est aujourd’hui et qui demain ne sera plus :
“Un coup de balai comme / un coup de vent. / Tout disparaît / à jamais / mais perdure dans nos mémoires”. Éloge, s’il en est, de l’ici et maintenant. “Dans la grande majorité des cas, les matériaux utilisés sont de l’ordre du déchet. Le passage de statut de ‘nature’ à celui d’‘ordure’ est un des points centraux de mes réflexions. Je considère l’ensemble du travail comme une sorte de parcours initiatique, où la nature me donne de véritables leçons de philosophie, leçons de vie”.
Cette nouvelle installation au Domaine réunit à la “cime” de trois branches, dressées à la verticale tel un bouquet, 250 parallélépipèdes, dont la plupart sont des nichoirs pour martinets, espèce rare en voie de disparition.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Artiste belge connu et exposé dans le monde entier, auteur de très nombreuses expositions et dont l’œuvre fait l’objet de multiples catalogues, Bob Verschueren fait partie de la mouvance végétale, représentée entre autres par Nils-Udo et Andy Goldsworthy, mouvance qui fait suite au Land Art. Installations intérieures ou extérieures, wind painting, light painting, phytogravures, travaux séquentiels où le temps fait son œuvre sur des matières périssables, l’artiste entretient un rapport très fort avec la nature et la matière, avec le temps et l’espace. Sa pratique artistique rejoint une réflexion écologique et philosophique qui lui donne une grande cohérence. Ses interventions en des endroits divers (gares, églises, musées, friches industrielles, galeries d’art ou en pleine nature), mettant en scène feuilles, branches, souches, mousses, légumes, champignons, marcs de café, épis de blé, pots en terre cuite, farine, pigments naturels, pierres ou galets, racontent des histoires aussi passionnantes qu’éphémères, pleines de beauté étrange et de force.
Bob Verschueren est un artiste plasticien autodidacte, né à Etterbeek en Belgique en 1945. Il débute sa carrière artistique à la fin des années 1960 par la pratique de la peinture. En 1978, il s’oriente vers le Land Art en réalisant des wind paintings, pigments naturels répandus au vent dans le paysage et des light paintings, technique photographique qui permet de fixer la lumière en déplaçant une source lumineuse devant l’objectif. Dès les années 1980, il décide de ne plus utiliser que des matériaux naturels, et en particulier végétaux. Depuis, il a réalisé plus de 300 installations en Europe et dans le monde.
Pour chacune de ses œuvres, Bob Verschueren veille à ce que l’architecture du lieu, la nature et le matériau choisis s’accordent parfaitement. Déplacés de leur cadre naturel, les éléments récoltés sont voués pour la plupart à la décomposition. Il interroge ainsi constamment l’indéfectible lien qui existe entre la vie et la mort. Il explore aussi d’autres domaines comme le son (Catalogue de plantes, débuté en 1995), la gravure (Phytogravures, débutées en 1999), la photographie et les frottages. Un terrain vague, une forêt, un lieu d’exposition deviennent pour lui autant d’espaces d’expérimentation.
Parmi les œuvres les plus récentes, plusieurs sont pérennes. Ainsi, à Bruxelles, à la Maison d’Érasme et au Jardin des Visitandines, deux installations ont été pensées comme des appels à la méditation à l’intérieur de la ville. Invité à plusieurs reprises par le parcours artistique français, Annecy paysages, Bob Verschueren a réalisé plusieurs pièces, dont trois sont visibles toute l’année et témoignent des récents développements de l’œuvre. Composée de 10 arbres assemblés deux à deux et plantés dans la terre, racines en l’air, La Haie d’honneur enjambe une allée des Jardins de l’Europe. L’œuvre est à la fois un hommage aux arbres morts et une incitation aux habitants des villes à venir célébrer la nature. De son côté, L’Arbre pourfendu fait allusion à la profondeur des contes philosophiques d’Italo Calvino (Le Vicomte pourfendu), un auteur cher à Bob Verschueren. Un tronc nu est transpercé par un jeune et frêle arbre. Est-ce une querelle renouvelée des anciens et des modernes ? Au surréalisme de la scène, l’artiste ajoute l’épopée des batailles mythologiques où les arbres, à l’exemple des hommes, se mesurent entre eux. La troisième, Implantations, est une architecture extraordinaire, sorte de village perché pour oiseaux, un arbre dont le ramage supporte des maisonnettes serrées les unes contre les autres. L’artiste traite les oiseaux à l’instar d’une communauté humaine et leur offre une cité utopique et magique.
Bob Verschueren est membre de l’Académie royale de Belgique dans la classe des Arts.