A. Stefan Râmniceanu
À l’heure où la provocation est souvent érigée en système créatif, Stefan Râmniceanu prend le parti de la spiritualité dans l’art. L’artiste définit cette quête comme un chemin initiatique vers la figure – archétype d’un “homme universel”, résurgence contemporaine de l’homme de la Renaissance. À y regarder de plus près, son énergie créatrice n’est pas sans évoquer la maxime d’Albert Camus, “tout blasphème est révérencieux, il participe au sacré”, tant la volonté de rupture qui traverse la création de Râmniceanu s’est enrichie des traditions picturales des siècles passés. “Je ne peins ni avec des tubes de peinture ni avec des pinceaux, je peins avec la mémoire des choses”, déclare-t-il.
Au cours des quarante dernières années, son travail s’est développé dans un processus d’accumulation et de croisements de thèmes, de motifs et de symboles, qui reviennent et se chevauchent à plusieurs reprises dans divers médias. Des connexions hautement symboliques émergent du métal, du béton, du fil de fer et d’autres matériaux hétéroclites. De nombreuses couches onctueuses de couleurs sourdes confèrent à la surface de ses peintures une structure en relief, une plasticité presque sculpturale. Un vocabulaire s’est ainsi construit à l’intersection de diverses disciplines (peinture, photographie, sculpture), que l’artiste s’attache aujourd’hui encore à développer. Désormais reconnue comme partie intégrante de son œuvre, la sculpture est devenue progressivement de plus en plus monumentale comme l’illustre notamment Le Bâtisseur, une pièce de 8 m de haut réalisée en 2014 et présentée cette même année au Palais Mogosoaia, lors de la rétrospective Marks, à Bucarest. Événement qui marque le grand retour de l’artiste en Roumanie, pays qu’il a quitté en 1991 pour s’installer en France.
À cette occasion, l’historien Răzvan Theodorescu écrivait : “Stefan Râmniceanu, l’artiste qui a ses débuts peignait des paysages d’une introspection digne de certaines toile d’Andreescu, témoigne, une fois de plus, son appartenance à cette culture par le recueillement grave, monumental de ses morphologies, par les cordiales harmonies chromatiques, par son imaginaire qui descend de tous ceux, qui dans cette partie du monde, ont su arriver à la splendide hérésie selon laquelle un morceau de bois portant une image – une ‘eikona’ – pouvait être vénéré et que devant lui l’homme peut dépasser ses propres limites dans ce que, littéralement, les anciens appelaient ‘ekstasis’. Notre siècle, plus attaché au symbole, aux eschatologies et à l’universel, s’est reconnu dans les spiritualités anciennes, à travers les grands artistes de l’Est et des révolutions surtout, depuis Kandinsky ou Tatlin ou Malevitch. Quant aux récurrences desdites spiritualités elles peuvent être, elles aussi, des arguments de la durée, du silence, de l’attente.”
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Né en 1954, à Ploiesti en Roumanie, Stefan Râmniceanu vit et travaille à Paris et à Bucarest. Ancien élève de la faculté des Beaux-Arts Nicolae Grigorescu, dont il est sorti diplômé en 1979, l’artiste est une figure emblématique de l’art contemporain roumain. Dès ses premières expositions, il emporte l’adhésion du public et de la critique. Le peintre compte parmi les “artistes qui savent séduire, irriter et surprendre ; autrement dit, il a le don d’être imprévisible”, écrivait le philosophe et historien de l’art Andrei Pleșu.
La trajectoire artistique de Stefan Râmniceanu débute dans la Roumanie des années 1980. Ses deux premières expositions personnelles, au Théâtre Giulești (1979) et à la Galerie Amfiteatru, de Bucarest (1980) sont suivies par l’obtention de la bourse de l’Union des artistes plasticiens de Roumanie, le prix de la revue Amfiteatru ainsi que par la participation à différents concours et expositions collectives. En 1985, Stefan Râmniceanu est invité à exposer simultanément dans deux galeries réputées de la capitale roumaine : l’Atelier 35 et la Galerie Orizont. L’évènement attire l’attention de personnalités culturelles de premier plan comme le critique d’art et historien Radu Bogdan et l’écrivain-philosophe Nicolae Steinhardt, qui tous deux s’attardent sur la manière dont le peintre repense la lumière. Pour l’historien Răzvan Theodorescu, l’œuvre est la preuve que l’art roumain possède un avenir. Les années, qui s’ensuivent, voient l’artiste multiplier les expositions collectives internationales où il représente son pays, en Hongrie, en Autriche ainsi qu’en Bulgarie et remporte son premier prix international à la Triennale de peinture de Sofia.
En 1988, Stefan Râmniceanu organise Ferecătura dans le plus ancien palais princier de Bucarest. Destinée à célébrer les 300 ans de l’avènement sur le trône du prince de Valachie Constantin II Brancovan, l’exposition se propose de réinventer la grammaire de l’art byzantin orthodoxe alors même que la dictature communiste, imposée par Nicolae Ceaucescu depuis 33 ans, est en train de se fissurer. “Ton art est une réponse réconfortante à l’effondrement des palais, car tu fais des décombres une immense caisse de résonance pour une noblesse d’esprit chargée d’histoire et d’espérance”, écrivait son professeur, le peintre Ion Sălișteanu, en octobre 1988. Des années plus tard, le critique d’art et ancien ambassadeur de Roumanie à l’Unesco, Dan Hăulică affirmera : “C’était vraiment un appel pour nous tous, un appel à la mémoire, un appel au courage à restaurer le passé…”.
Avec l’exposition de 1988, le nom de l’artiste s’invite dans les cercles diplomatiques des puissances occidentales, qui ouvrent à son œuvre les portes du “monde libre”. C’est ainsi, notamment, que le Ministère de la Culture grec lui propose de réitérer Ferecătura à Athènes sous le nom de Report to Byzantium. Peu de temps après avoir participé à la révolution roumaine, en décembre 1989, Râmniceanu est invité par le gouvernement français et installe son atelier à Paris (1991). Il devient pensionnaire de la Cité internationale des arts et obtient la nationalité française (1999). Se succèdent alors de nombreuses expositions en galerie et dans les institutions. En 2001, la conservatrice générale honoraire au département des Arts graphiques du Louvre et ancienne directrice du Musée Delacroix, Arlette Sérullaz écrit la préface de la première monographie consacrée à l’œuvre de Stefan Râmniceanu, dont le titre est Entre Orient et Occident, un alchimiste qui a traversé les âges.
En 2014, l’artiste célèbre une nouvelle fois la mémoire de Constantin II Brancovan, trois cents ans après sa disparition. Pour son grand retour en Roumanie, plusieurs institutions lui consacrent une exceptionnelle rétrospective, Marks (Urme). Plus de 400 œuvres, dont 30 sculptures monumentales, sont exposées.
L’œuvre de Râmniceanu a présente dans nombre de collections privées et publiques, en Allemagne, Argentine, Belgique, Brésil, Bulgarie, Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Grèce, Italie, Japon, Monaco, Maroc, Pays-Bas, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Tunisie, Turquie et Venezuela.