08. Voyelles
Publié le 18/06/2018
Inspiré du célèbre poème d’Arthur Rimbaud « Voyelles », ce poétique jardin clair entraîne le visiteur dans une atmosphère onirique où métaphores et réminiscences de vers ponctuent la promenade et ressuscitent les couleurs et les mots qu’elles charrient.
Mots en suspens, significations cachées, couleurs subtiles, floraisons vaporeuses contribuent au charme et au mystère de ce jardin littéraire et intemporel.
[A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:...]
Devant moi, un long mur noir, carbonisé. Un mur de planches irrégulières, qui grimpe à plus de deux mètres de haut.
Quel drôle d’accueil, sombre et rugueux !
Quelque chose m’attire pourtant dans ce mur, comme une vibration dans la matière.
Je me glisse avec précaution le long du bois brûlé.
J’entrevois des bambous clairs à tige de cendre.
De plus en plus intrigué, je perçois, dans les nuances du noir, quelques lettres gravées dans le mur :
[...A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre;...]
Ces mots résonnent dans ma mémoire; le souvenir est fort mais imprécis.
J’avance : j’ai envie de comprendre où cela mène.
Passé le mur, je découvre enfin le jardin. Ma vue embrasse un théâtre apaisant.
Emporté par l’ambiance qui se dégage du lieu, je mets quelques secondes à me rendre compte que je piétine quelque chose. Je me penche et je trouve à nouveau des lettres, enfoncées dans le gravier blanc. Je dois pivoter et prendre un peu de recul pour lire :
[...E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles; ...]
Après l’oppression initiale, tout semble se dilater autour de moi. Chaque chose prend sa place en harmonie. Un parterre riche et foisonnant me conduit à l’intérieur d’un massif de rosiers.
Une profusion de couleurs, de senteurs, de textures végétales m’étourdit et me donne envie de m’abandonner à ce banc bienvenu, à l’ombre d’un tilleul.
Face à moi, dans la bordure, de nouveaux mots s’offrent discrètement au regard :
[...I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes; ...]
Et si le jardin qui m’entoure n’était qu’un prétexte à la lecture poétique ?
Il met en scène des vers, il les transpose en atmosphères, en images, en odeurs.
Tout comme, dans un poème, les mots se font écho, certains termes reviennent, suspendus et flottants, au-dessus de ma tête, réminiscences éloignées des vers précédents.
Ces mots qui tournent librement sur des bouliers compteurs, donnent à l’ensemble un petit souffle de jeu et de légèreté.
La métaphore poétique se poursuit au fond de la parcelle, où un banc s’est laissé envahir par les roses. Epines et pétales ne font plus qu’un avec lui.
Suivant cette scène des yeux, je suis invité à reprendre ma route. Une pente douce me fait plonger dans une prairie de graminées.
Les longues plantes soyeuses ondoient au gré des vents, et je ne suis pas surpris d’y trouver la suite du texte :
[...U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux; ...]
Les mots, leurs sonorités et la danse des herbes entrent en fusion dans une symbiose parfaite.
Je devine que la sortie approche quand je retrouve le mur du départ, les planches sont de ce côté impeccablement lisses et claires.
Une dernière surprise m’attend au terme de ce parcours : un bassin perdu au pied du mur.
Je me penche par curiosité et je découvre, gravé sur un miroir au fond de l’eau :
[...O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
- O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux!]
Derrière mon propre visage, le ciel infini se reflète dans l’eau, et la contemplation de cette dernière image s’impose avec force et sérénité.
J e quitte avec regret ce jardin de lecture, évoquant plus qu’il n’illustre, un festival de couleurs et d’impressions physiques, induites par le poème d’Arthur Rimbaud.
concepteurs
Thomas VAN EECKHOUT, architecte-paysagiste
, Julie DE LEGGE, architecte DPLG et scénographe DPEA
, Geneviève ERKEN, docteur en Philosophie et Lettres
, et Yves COLLARD, architecte et paysagiste
BELGIQUE