Yann Lacroix
"Botanique"

Par la pratique exclusive de la peinture, Yann Lacroix réalise notamment des paysages, parfois peuplés de figures fantomatiques déployant une iconographie utopique et fantasmée, guidée par ses souvenirs de voyage, la mémoire potentielle de ces lieux silencieux et celle de l’histoire de la peinture. Telles des métaphores du processus de la mémoire, ses œuvres superposent des espaces flous et des zones de détails particulièrement précis dont l’intensité contraste avec le brouillage visuel d’autres zones de la toile.
« Dans le corps du paysage, on devine un voile translucide dont on ne sait s’il est la trace d’une mémoire du lieu ou une prémonition ; dans le corps de la peinture, de ce même voile, on ne sait s’il est le reste ou l’image fantôme de l’ancien projet d’une peinture finalement abandonnée, ou si, au contraire, il est l’amorce d’une œuvre qui vient supplanter ce qui est déjà là. Troublé, l’œil ne sait plus s’il est le témoin d’une naissance ou d’une évanescence du paysage, d’une peinture en train de se faire ou de se défaire. Ce double doute, ébranle les rassurantes certitudes d’un œil qui voit pour être désormais appelé à revoir, à percevoir l’envers du décor ; d’un décor que les brosses du peintre œuvrent à démonter », écrit Mohamed Ali Berhouma en 2023.
La pratique picturale de Yann Lacroix s’intéresse majoritairement aux paysages. Leur aspect luxuriant n’est pas sans évoquer les destinations de voyage les plus prisées, devenues symptomatiques d’un désir de renouer avec un paradis perdu et poussant paradoxalement à la création d’espaces artificiels. Chez l’artiste, ces lieux se transforment en un miroir de la peinture rythmée par le jeu des apparences, sorte de recherche autour du potentiel caractère évanescent des images. De cela résulte une émotion disparue et la joie de la tentative de retrouver ce qui a été vu, ce qui a été éprouvé.
« Vainement, le pavement d’une perspective tente d’ordonner en plans une vision du monde, d’en cerner l’organicité en enserrant une plante qui, bientôt, le déborde. Le peintre défait ces stratégies (du pouvoir) en laissant affleurer les tracés d’un dessin ; en dévoilant ses artifices, il cherche, par la couleur et le pinceau, à remonter l’ordre pictural : par l’érosion des plans, par l’effacement d’une matière, par les frottis en nappes maigres. La plasticité que lève l’artiste, une strate après l’autre, est faite de la même matière que les premières couches qui constituent l’ébauche du paysage des anciens, — et que l’on a aussi nommées, les dessous de la peinture. Cette archéologie de la surface picturale est aussi celle qui fouille le paysage et son histoire, en mettant au jour ce qui le sous-tend, ce qui gît, là, dessous », poursuit le chercheur et écrivain tunisien.
Ainsi, à partir de ses souvenirs (images glanées sur Internet, séjours à l’étranger, environnement quotidien...), Yann Lacroix peint des paysages volontairement composites, habités de végétation exotique, de serres tropicales et de piscines, constitués de leur propre artificialité mais dont la trace d’une histoire passée ou possible amène sensualité et vie : une réflexion sur les hétérotopies qui s’articule par le biais de ces lieux à la fois fantasmés et emprunts d’une poésie du quotidien comme des allégories de la peinture même.
« En mettant en branle les cimes par lesquelles l’œil conquérant veut posséder le monde et ses horizons, les visions de paysages de Yann Lacroix nous invitent à une posture autre. En ouvrant le paysage à ses soubassements, à ses genèses, en nous donnant à traverser les strates qui compose sa mémoire, qui font son histoire, le peintre nous amène à la vertigineuse posture d’un regard qui, dans ce qu’il voit, perçoit ce que cela fut avant nous, ce que cela sera, après nous », conclut Mohamed Ali Berhouma.
Pour la Saison d’art, une série de toiles principalement consacrées à des paysages de nature sera présentée dans plusieurs espaces du Château, dont la très belle salle du Porc-Épic.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Né en 1986, Yann Lacroix a fait ses études à École Supérieure d'art de Clermont Métropole (2005-2010) et à l’École des beaux-arts de Porto (2008), au Portugal. Lauréat de nombreuses bourses et résidences, il a également été pensionnaire de la Casa Velázquez en 2019. Remarqué notamment à Paris lors du 63e salon de Montrouge en 2018, l’artiste a participé à de nombreuses expositions collectives en France comme à l’étranger.
Yann Lacroix vit et travaille à Paris. Depuis 2019, il est représenté par la Galerie Anne-Sarah Bénichou.