Vincent Laval
"Plus loin dans la forêt"

À 25 km au nord de Paris, il est une forêt digne des contes. Emplies de châtaigniers, de chênes et d’hêtres, elle renferme une butte féodale, au sommet de laquelle apparaît une vue magnifique sur le paysage environnant. Réputée pour sa biodiversité, la forêt de Carnelle abrite aussi la Pierre Turquaise, une allée couverte dressée au IIIe millénaire de notre ère. Lieu exceptionnel de nature et de culture, cette forêt libère l’imagination tant et si bien que Vincent Laval venu en voisin — enfant, il vivait à quelques dizaines de mètres de sa lisière — n’a jamais souhaité s’en éloigner. Le lien indéfectible qu’il a noué avec elle est aujourd’hui encore la source première de son inspiration et de sa pratique artistique.
Ses marches dans la forêt de Carnelle nourrissent son travail. Au fil de longues excursions dans les sous-bois, il s’émerveille, écoute, observe et ramasse ce que d’aucuns foulent au pied sans autre forme d’attention. La « cueillette », comme il aime la nommer, est au cœur de sa pratique, un rouage indispensable, qui relie la marche et l’atelier, l’espace forestier et le travail sculptural. Cet intérêt pour les matériaux trouvés en forêt l’a naturellement amené à intégrer le cursus d’ébénisterie de l’École Boulle mais également à réaliser qu’au-delà du bois c’est l’arbre qui est son centre d’intérêt. Ce qu’il mettra en évidence à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, dont il sort diplômé en 2019.
En forêt, Vincent Laval ne récupère que des matériaux tombés au sol. Conscient que ces derniers ont fait un jour partie d’un grand tout vivant, l’artiste s’oblige à en prendre conscience et à ne jamais agir dans la précipitation. Certains éléments peuvent être laissés à la forêt durant plusieurs années, puis mis à sécher presque autant de temps, avant d’être travaillés. Sculpter peut aussi prendre des mois, voire plus, car construire une histoire est une entreprise de longue haleine. Ainsi pour OANI (Outils d’Artisanat Non Identifiés), l’artiste a-t-il, à l’occasion d’une marche, glané un morceau d’arbre tombé au sol, puis taillé dans un même élan. Étonné et conquis par l’objet obtenu, il répétera l’exercice 26 fois, comme autant de lettres de l’alphabet, transformant l’informe en un outil de langage.
L’intention est toujours de changer le regard, de le décaler. Pour ce faire, l’artiste n’hésite pas à grimper aux arbres, à s’élever 7 à 8 mètres au-dessus du sol. À cette hauteur, il surplombe la sinuosité des branchages et découvre la forêt sous un autre angle, explorant avec admiration cette nouvelle perspective. Mais au risque de l’escalade, l’artiste préfère l’impression de protection que les arbres lui procurent et surtout apprécie ce poste d’observation unique. Un sentiment qu’il fait renaître avec la spectaculaire pièce exposée pour la Saison d’art. Réalisée à partir de centaine de morceaux de bois glanés, ce merveilleux enchevêtrement semble sortir tout droit d’un conte de fée. L’étrange cabane laisse passer le regard et plus important encore permet une interaction entre l’intérieur et l’extérieur à la manière explorée par Henry David Thoreau dans son Walden (1854). Pour ce faire, des centaines d’éléments ont été si bien ajustés les uns aux autres qu’ils forment un ensemble continu comme poussé en terre, une structure en réseau aux accents organiques. L’œuvre sert admirablement l’intention primordiale de l’artiste : montrer la capacité de résilience de la forêt, sa splendeur et aussi sa fragilité.
« Il est inutile de lutter contre l’instinct, encore plus contre le temps. Entrer en forêt, c’est se confronter à ces deux forces. Il faut une sorte de lâcher-prise avec ce que nous sommes devenus, humains, face à ce petit fragment interne qui nous rappelle discrètement d’où nous venons. J’aime tant la forêt car elle m’échappe à peine, je pensais pouvoir la comprendre, elle n’est finalement que mystère. Les choses du vivant, du non-vivant, sont là sans avoir besoin de nous, de moi, juste de l’équilibre. Aller en forêt, c’est pénétrer un monde qui n’est pas le nôtre mais qui nous accueille avec son mouvement sensoriel autant que son ancrage physique, sa délicatesse et sa force, avec sa beauté et son hostilité. Il est possible de s’y arrêter le temps d’un passage où l’on fabrique une cabane. Être au sec en s’abritant de la pluie, avoir un semblant de toit pour se sentir protégé, évocation du ventre de la mère, abri des premiers Hommes ou chambre annexe des premières années de l’enfance, la cabane nous relie au temps, à la vie et à la Nature dans sa diversité. Avec Plus loin dans la forêt, c’est ici une volonté de témoigner par un objet hautement symbolique de la nécessité de retrouver ce lien étroit avec la forêt », écrit Vincent Laval.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Né en 1991, Vincent Laval a grandi non loin de la forêt de Carnelle dans le nord de l’Ile-de-France et garde depuis son enfance un lien très fort avec elle. Après le lycée, il s’oriente vers des études d’ébénisterie et de sculpture sur bois à l’École Boulle, puis intègre l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, dont il sort diplômé en 2019. Au cours de ses études, Vincent Laval s’est rendu compte que, plus que le bois, c’est l’arbre qui l’intéresse. Ses sculptures, photographies et peintures témoignent de ses recherches explorant les liens qui nous unissent à la forêt, merveille de biodiversité. Vincent Laval fait partie aujourd’hui de l’association Forest Art Project, qui vise à créer des expositions artistiques pour sensibiliser à la préservation des forêts, aux problématiques liées à son exploitation abusive dans bien des territoires, et au travail de Francis Hallé, spécialiste mondial des forêts primaires. Depuis janvier 2021, il fait également partie de l’agence SAM (Sustainable Art Market) dirigée par Sabine Colombier et qui vise à promouvoir une pratique éthique et durable de l’art contemporain. L’artiste participe à de nombreuses conférences. Son travail a été récompensé par le Prix Planète Art Solidaire par Art Of Change 21 et aussi par le Prix Frédéric et Jean de Vernon de l’Académie des Beaux-Arts, en 2021.