Stéphane Erouane Dumas
"Les âmes sœurs"

De la peinture de Stéphane Erouane Dumas se dégage l’empreinte du temps des différentes strates des falaises crayeuses de Normandie que l’artiste a peint durant des années, sans relâche. Il tisse dans la matière une composition rythmée d’anfractuosités subtilement mises en relief par les jeux de lumière et les variations de tonalités. Une étrange alchimie s’est installée au fil du temps entre le peintre et son sujet, traité sur la toile avec des pigments, de la poudre de marbre et de la colle de peau, tour à tour grattés, effacés pour être recouverts jusqu’à obtenir les variations de transparence et de matière recherchées. « Ma démarche est avant tout plastique. Il faut que je ressente la puissance du sujet, il faut que le sujet me donne pour que je puisse donner à mon tour et proposer ainsi ma propre vision », affirme l’artiste.
L’œuvre de Stéphane Erouane Dumas « étreint l’absence », comme l’affirmait le critique d’art Christian Noorbergen, en 2010. Et de poursuivre : « Absence nue, avide, qui efface en elle ce qui gravite aveuglément autour des illusions du monde. Chaque peinture éternise un instant unique, dans un accomplissement toujours imminent, toujours différé. Quelque chose d’inquiétant et d’inouï se met en place, de l’ordre des impensables débuts du monde. Au commencement étaient les falaises, et les lentes respirations du dehors... Dans les voiles de l’œuvre, dans ses replis nombreux, on voit tension étirée, densité de matière ultime – jusque dans ses immobiles craquements – sourde présence de sources convulsives, venues soudainement du fond des âges, là où se vivent les forces cachées du mental profond, sous le scalpel sans poids de lointaines lueurs. »
Ainsi quand les yeux se posent sur les sculptures du peintre, elles nous sont familières. L’œil y retrouve les falaises comme si la peinture tout à coup se dressait devant nous entourée de nature vraie. Plus besoin de faire sentir le vent ou la pluie, les éléments s’en emparent, les entourent, et les reconnaissent. La pratique de la sculpture a débuté il y a 5 ou 6 ans, un peu comme l’aboutissement du travail de peinture sur les falaises. Stéphane Erouane Dumas avait alors envie de risquer, d’essayer de trouver d’autres territoires dans lesquels exprimer ce sujet grandiose. Les croquis affichés au mur sont alors devenus de petites maquettes en papier, avant de s’offrir comme modèles à la terre chamottée, puis au plâtre.
« Sans jamais consentir à l’abstraction, la création de Stéphane Erouane Dumas est gouvernée par un sens souverain de la synthèse et de l’épure, du signe. Réduits à leur plus simple expression, les éléments plastiques, empruntés au champ du visible, deviennent ainsi des raccourcis audacieux, des abrégés saisissants. Calligraphiques, volontiers hiéroglyphiques, les œuvres de Stéphane Erouane Dumas révèlent une inquiétante étrangeté érigeant la nature — éternelle, et éternisée — en réservoir de formes merveilleuses et impénétrables, inspirées par les falaises crayeuses de Normandie ou les étendues neigeuses de Scandinavie. Ce faisant, feuilles, troncs et branches composent des strates qui, parfois mélancoliques, en appellent au pouvoir poétique de la mémoire, cette remembrance enchanteresse », écrit Colin Lemoine.
Si en 2014, le Domaine de Chaumont-sur-Loire avait accueilli Cliffs, une spectaculaire installation picturale, c’est une sculpture en bronze qui, cette année, est à l’honneur. Mues par une singulière tectonique des plaques, Les âmes sœurs sont réunies en leur base, initiant une danse, une élévation, à la fois unique et parallèle. Elles « trahissent la porosité entre le minéral et le végétal, entre la peau de la pierre et le froissement de l’écorce, entre la puissance et la fragilité. Dressées l’une face à l’autre, ou à côté de l’autre, ces âmes sœurs forment assurément une image totémique de la douceur. Plus grande que nature… », écrit encore l’historien de l’art et écrivain.
Longtemps l’artiste s’est interrogé sur le bon espace à trouver entre les deux parois pour qu’elles se chevauchent en liberté, sans se neutraliser. Comme l’évoque le titre de l’œuvre, elles se tiennent devant nous comme des personnages en confidence. Que se disent-ils ? Nous tendons la main pour lire leurs secrets dans les aspérités de la matière, déchiffrer du bout des doigts la musicalité d’une conversation d’un autre monde.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Né à Boulogne Billancourt en 1958, Stéphane Erouane Dumas est formé à l’Académie Julian, puis à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, dont il sort diplômé en 1984. Peintre, dessinateur et sculpteur, l’artiste partage son temps entre Paris et Varengeville-sur-Mer, en Normandie. Ses œuvres sont présentes dans plusieurs collections publiques et privées en France, en Belgique, en Allemagne, en Suisse, au Luxembourg, en Italie, en Pologne, en Angleterre et aux États-Unis. Et bénéficient d’expositions personnelles en Europe. Stéphane Erouane Dumas a illustré de nombreux ouvrages pour les éditions Fata Morgana. En 2012, il réalise un projet monumental pour la Verrière-Hermès à Bruxelles : Falaises, un polyptyque de 44 mètres de long et 3,80 mètres de haut réalisé à l’huile sur papier. L’œuvre sera exposée, en 2014, au Domaine de Chaumont-sur-Loire, où l’artiste sera de nouveau invité deux ans plus tard pour l’exposition Arbres en hiver. En 2015, il s’initie à la lithographie chez Idem, à Montparnasse. Le film documentaire sur son travail, Portrait d’un artiste, obtient le prix spécial du jury du MIFAC en 2019.
Cette même année, Dumas rencontre le céramiste Grégoire Scalabre et entame avec lui une collaboration qui donnera naissance à ses premières falaises d’argile et aboutira à ses premiers bronzes réalisés en Auvergne, à la fonderie Fusions de David de Gourcuff. En 2021, les éditions In Fine publient une monographie sur les cinq dernières années de son travail avec un texte de Pascal Bonafoux. En 2023, Stéphane Érouane Dumas expose au musée Jenisch à Vevey en Suisse, et en Provence, où trois sites mettent en lumière différentes facettes de son œuvre. Tout d’abord, l’exposition Variations végétales dédiée à son travail pictural est exposé au palais abbatial de l’Abbaye Saint-André de Villeneuve-lez-Avignon. En écho, un grand bronze est présenté dans l’exposition La Paix de la fondation Pierre & Poppy Salinger, le Thor. Enfin, un bronze monumental – Les âmes sœurs – est inauguré dans le parc du Château de Lascours dans le Gard. Au printemps 2025, une réplique en bronze de cette sculpture est installée au Domaine de Chaumont sur Loire.
Membre du Cercle Design, du Musée des Arts Décoratifs, Stéphane Érouane Dumas est représenté par la Galerie Pierre-Alain Challier, à Paris.