Fabienne Verdier
"Poétique de la ligne"

Nourrie aux sources vives de la tradition picturale chinoise et d’un regard intensément sensible au bruissement du monde, la peinture développée par Fabienne Verdier depuis la fin des années 1980 ne cesse d’explorer l’univers des formes élémentaires et de donner à percevoir les parentés multiples, inouïes autant que limpides une fois dévoilées, entre matériel et spirituel, singulier et universel, for intérieur et nature habitée. Ses toiles, jaillissements mûrement réfléchis, sont autant des « images de pensée » que des éclats condensés du visible. Une observation minutieuse, une écoute infiniment attentive, un recueillement où chaque moment du monde vibre d’un son singulier, président au tracé de chacune, dont la simplicité n’advient qu’au terme d’une longue ascèse. Percevoir l’unité cosmique exige le dépouillement ; fruit de celui de l’artiste, chaque œuvre offerte à la contemplation du spectateur invite à s’engager sur cette voie de transformation du regard et de soi.
Poétique de la ligne convie à une traversée de l’œuvre de Fabienne Verdier, exploration inlassable de la ligne comme vecteur d’une poésie universelle. L’artiste, forte de son apprentissage des techniques de la calligraphie a su transcender ces pratiques pour en faire le point de départ d’un langage plastique personnel, où la ligne devient la mémoire vive du geste et l’incarnation de forces invisibles.
Dans l’art de Fabienne Verdier, la ligne ne se réduit pas à une simple délimitation formelle ; elle est l’expression d’une tension, d’une respiration et d’une énergie vitale. Au début de son parcours, l’artiste s’inscrit dans la continuité de la calligraphie traditionnelle chinoise, où le tracé se déploie comme une chorégraphie intime entre le pinceau, l’encre et le support. Sous l’influence de ses maîtres, la ligne est une extension de son corps, un écho à l’équilibre subtil entre l’intention et l’improvisation. Ces premières explorations dévoilent une rigueur méditative, mais déjà perceptible est son désir de transcender les codes pour créer une grammaire nouvelle.
Au fil des années, Fabienne Verdier ouvre sa pratique à d’autres dimensions expressives. Elle introduit une monumentalité dans ses œuvres, où les lignes s’élargissent et s’intensifient, devenant des trajectoires dynamiques qui capturent les forces en mouvement. Ses grands pinceaux, créés sur mesure, permettent à la matière de s’écouler en larges pulsations, traduisant à la fois l’ampleur d’un geste et la profondeur d’une intention. La ligne devient un phénomène en soi, oscillant entre fluidité et rupture, minimalisme et profusion.
La ligne est aussi le lieu d’une réflexion sur le temps. Chaque tracé semble capturer un instant suspendu, où le geste de l’artiste devient une métaphore du passage et de l’impermanence. Par son mouvement continu, la ligne contient en elle le début et la fin, l’élan et la résolution. Et toujours, elle transcende sa fonction plastique pour devenir une expérience. Le spectateur, confronté à ces diverses trajectoires, est invité à suivre mentalement le geste de l’artiste, à entrer dans le flux même de la création. Devenue langage, mémoire et énergie, la ligne établit des ponts entre passé, présent et futur. L’artiste nous rappelle qu’en cette dernière se joue une certaine vision de l’existence, une certaine poésie aussi.
Cette poésie du trait trouve une résonance particulière dans l’intérêt de Fabienne Verdier pour les phénomènes naturels. Certaines de ses séries traduisent les mouvements du vent, de l’eau ou les vibrations sonores. Ces explorations, nourries par une observation attentive des forces naturelles, témoignent d’une recherche de connivence entre l’œuvre et les énergies du monde. La ligne devient alors une écriture capable de traduire les rythmes invisibles de la nature et de réconcilier l’homme avec son environnement.
Installée dans les Galeries hautes du Château, l’exposition part du point pour parcourir toute la diversité de la ligne plurielle de Fabienne Verdier. Intéressée par les phénomènes naturels, les forces invisibles et les énergies vitales, l’artiste aime à établir un dialogue entre son art et d’autres disciplines, comme la musique, la philosophie ou les sciences. Ainsi de salle en salle, le visiteur découvre-t-il des œuvres de Julius Bockelt, Cédric Lebonnois, Ralph Steiner (1899-1986), Anaïs Tondeur, Étienne Léopold Trouvelot (1827-1895) et Franz Erhard Walther, en conversation avec les siennes.
Le parcours de l’exposition résulte d’un dialogue entre l’artiste et Guillaume Logé, chercheur et universitaire, qui a mis en évidence les liens existant entre l’univers de Fabienne Verdier et celui des artistes invités.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES

Fabienne Verdier est née en France en 1962. Depuis ses études aux Beaux-arts, son parcours artistique est jalonné de confrontations avec des systèmes de pensée issus de cultures et d’époques différentes. Son processus créatif se nourrit d’une hybridation des savoirs et se manifeste au moyen d’inventions techniques (pinceaux immenses, alliages de glacis, esquisses filmiques). Après ses études aux Beaux-arts, elle se forme en Chine de 1983 à 1992, aux côtés de grands maîtres. Elle s’immerge ensuite plusieurs années dans les œuvres de peintres expressionnistes abstraits pour réaliser une série de tableaux pour la Fondation H. Looser à Zurich. Elle se confronte, de 2009 à 2013, aux tableaux de primitifs flamands (Van Eyck, Memling, Van der Weyden) et crée une exposition avec le musée Groeninge à Bruges. En 2014, elle installe un atelier au sein de la Juilliard School (New York) qui accepte, pour la première fois, un laboratoire de recherche sur les ondes sonores et picturales. De 2015 à 2017, elle collabore avec Alain Rey pour l’édition du cinquantenaire du Petit Robert et réalise 22 tableaux célébrant l’énergie créatrice du langage. En 2019, le Musée Granet d’Aix-en-Provence lui consacre une exposition rétrospective, retraçant le parcours de l’artiste depuis son retour de Chine, jusqu’à ses dernières œuvres créées dans les carrières de Bibémus, face à la Montagne Sainte-Victoire. Cette même année, après la réalisation d’une série de douze œuvres, une de ses peintures est choisie par La Poste française pour un timbre.
Fabienne Verdier est représentée par la Galerie Lelong & Co.