Claire Trotignon

Il faut percevoir la pratique du collage chez Claire Trotignon comme une tentative réussie de parler de notre époque, d’en parler autrement. Il y a chez elle une heureuse collision entre des éléments appartenant au passé et des formes visiblement issues du futur. Rien dans ses œuvres ne semble parler de notre présent ni même renvoyer à quelque événement ou mutation de notre culture. Chacun de ses paysages se compose de centaines de fragments de gravures du XIXe siècle qu’elle découpe minutieusement avant de les coller, de les arranger et de les distribuer de façon éparse sur un fond blanc immaculé. Leurs assemblages font émerger des reliefs rocheux, montagnes, falaises, ou se réduisent à quelques éléments sans localisation précise. Et toujours, un arbre, voire un bosquet, vient fixer l’échelle. Autour le blanc irradie tout en laissant les choses en suspens. Chez Claire Trotignon, le vide est la base même de la composition et réfute toute forme de pesanteur. Les choses flottent librement, excluant un horizon clairement défini, voire une ligne de fuite contraignante. Le cadre apparait dès lors comme une découpe arbitraire.
Tels de véritables pièges pour le regard, ces collages se peuplent d’architectures, ou plus exactement de fantômes de constructions. De série en série, elles se sont faites plus abstraites au point de s’incarner tout autant dans les structures archaïques de peuples anciens ou prendre l’évidence minimaliste d’architectures utopiques qu’elles se parent régulièrement de touches d’un bleu intense appliquées au pinceau. Ces arches, ces murs aveugles, ces fosses et esplanades, ces perspectives sans fin évoquent un monde futur en lévitation où le réel semble avoir perdu toute substance, éparpillé dans les plis du temps et donc de notre imaginaire. Claire Trotignon réaffirme que tout paysage, notamment urbain, est avant tout une construction mentale où se cristallise les enjeux de la représentation dans une culture donnée. En jouant avec l’idée d’histoire, de cycle, en convoquant des modes de figuration non occidentaux (on pense notamment aux estampes japonaises), ses collages produisent finalement une image où le passé et le futur semble s’annuler dans les ruines du présent. Car les paysages que composent Claire Trotignon sont évidemment métaphoriques et renvoient aussi à cet éclatement de nos cultures contemporaines.
Dernièrement, la pratique de Claire Trotignon est entrée dans une phase de métamorphose. Si les fragments de gravures anciennes constituent toujours la base de ses collages, ses compositions ont désormais une ampleur et une échelle sans équivalent grâce à la collision d’éléments hétéroclites. Le point de vue perspectif traditionnel cède la place à de nouveaux espace-temps. Les fonds, autrefois blancs et neutres, s’enrichissent de couleurs vives, dont un bleu lumineux. Au sein de ces aplats, des fragments architecturaux en suspens, inspirés par l’ordre classique des architectures antiques, flottent librement dans le vide, désamorçant ainsi l’idée de paysage romantique. Toujours portées par un rythme musical, ces nouvelles œuvres se présentent comme des possibilités pour repenser la poétique de l’espace si chère à Gaston Bachelard.
Au Domaine de Chaumont-sur-Loire, les dessins de Claire Trotignon investissent la Galerie basse du Fenil. « Le lieu m’a marqué par son aspect panoramique et traversant. J’ai instinctivement vu un paysage s’étirant sur la longueur, presque au point de créer un mince fil reliant deux extrémités archipéliques, un paysage en balance entre des forces telluriques et le fragile maillage d’une broderie », partage l’artiste. L’installation réalisée spécialement pour l’occasion est de longue haleine. Il y a d’abord le travail préparatoire : des fragments de gravures associés à du dessin, le tout transposé en sérigraphie et imprimé manuellement sur un papier Arches, dans un noir charbonneux réintroduisant la matérialité de la gravure. Proportionnel à l’espace, le rendu est divisé en une douzaine de panneaux contrecollés sur Dibond afin d’obtenir une continuité harmonieuse du dessin et sur lesquels l’artiste interviendra directement en réhaussant l’œuvre de collages et de dessins originaux. Un paysage panoramique inédit dans l’œuvre de Claire Trotignon.
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
FRANCE
Née en 1985 à Paris, Claire Trotignon compte parmi les artistes les plus talentueuses de sa génération. Diplômée avec mention spéciale de l’École supérieure des beaux-arts de Tours en 2008, elle propose un travail à l’intersection du paysage et de l’architecture. L’artiste dessine dans l’espace et construit sur le papier. À travers le dessin et la découpe, elle prolonge le trait et la trame de fragments recomposés, met en œuvre la collision d’éléments hétéroclites, faisant voler en éclats l’aspect perspectif traditionnel et la narration linéaire pour donner lieu à de nouveaux espaces-temps. Son travail a été présenté en France et à l’étranger (Biennale d’architecture de Venise, FIAC, Fondation Louis Vuitton, Untitled Miami).
Claire Trotignon vit et travaille à Tours. Elle est représentée par la Galerie 8+4, à Paris, et la Galerie La Patinoire Royale-Bach, à Bruxelles.