Galerie des Écuries
Carole Solvay
"Sentinelles" et "Sporées"
Publié le 05/02/2025

Les techniques de tissage traditionnelles ont été le premier moteur du travail de Carole Solvay. Après avoir longtemps cherché son médium, les plumes d’oiseau, matière complexe, organique et vivante, sont devenues une évidence pour elle qui aurait aimé être ornithologue. Elles forment aujourd’hui sa personnalité esthétique dans un travail intrinsèquement lié à sa croissance intérieure et à son besoin de silence et de solitude, solitude de l’acte créateur dont la finalité est d’exorciser le périssable, parce que fugitif.
Fascinée par la légèreté de l’être, qualité inhérente à la plume, et inspirée par sa passion pour la nature et les oiseaux, Carole sélectionne méticuleusement les fragments de plumes qui composent ses œuvres : pennes, rachis, calamus, barbules. Elle les assemble avec des fibres, de fins fils de fer, du papier, du tissu ou de petits bouts de bâche. Son travail est conçu comme une méditation quotidienne, les gestes de la main priment dans un travail d’orfèvre où la notion de temps est aussi importante que celle de légèreté.
Carole Solvay a également exploré la calligraphie et le dessin tridimensionnel. Diverses techniques se combinent donc et l’expérimentation de supports variés aboutit à des œuvres poétiques, frémissantes et délicates, des installations flottantes ou des dessins-sculptures qui relient l’espace réel et l’espace fictif du dessin dont elle redéfinit en quelque sorte le territoire. Le fil métallique, très présent, devient parfois une installation linéaire et dessinée.
La notion de temporalité ainsi que le rapport entre l’espace et le temps sont des notions chères à l’artiste. Le temps façonne autant notre réalité que notre environnement direct ou notre histoire personnelle. Au Domaine de Chaumont-sur-Loire, Carole Solvay présente deux œuvres, toutes deux imaginées à partir de belles plumes de paon, destinées aux écuries somptueuses du château, bâties en 1877 et considérées à l’époque comme les plus belles d’Europe.
La première œuvre, Sentinelles, est composée de trois silhouettes suspendues, installation énigmatique mise en scène à l’intérieur de la petite salle noire. Carole Solvay revêt un support souple de tiges d’un assemblage méticuleux de barbules de plumes de paon. Légères, vertes et bleutées, elles accrochent la douce lumière dans de belles irisations. Jouant avec la mémoire du château, la mémoire du monde et celle de l’artiste, avec ces murs qui se souviennent, couverts d’une écriture invisible pour les yeux, Carole souhaite quelque chose de positif afin que l’énergie du lieu se réveille et se révèle : une rencontre, une appartenance, une symbiose avec l’esprit des lieux.
Telles des ombres, ces sentinelles veillent en silence, vigiles inconnus mais toujours présents, cerbères bienveillants et témoins de nombreux cycles de vie. Les écuries et le château sont comme habités de forces protectrices. Ce ne sont pas des spectres de l‘oubli, des particules de temps mais plutôt une protection absolue, un accompagnement sans faille, un bras invisible qui entoure nos fragiles épaules. Comme s’il existait une fraternité entre les visiteurs et l’âme du château, entre les âmes errantes et nous.
La deuxième œuvre, Sporée renvoie au monde végétal, au sol et à la reproduction. Également conçue à partir de plumes de paon, elle est composée d’une multitude de modules aux dimensions variées sur un fond blanc qui viendra se nicher dans l’alcôve, tel un amas ou dépôt de spores d’un champignon à maturité laissant leur trace sur une page blanche.
Elisabeth Martin, historienne de l’art
REPÈRES BIOGRAPHIQUES
Carole SOLVAY
BELGIQUE
Carole Solvay est née en 1954. Enfant, elle passe des heures à suivre le vol des hirondelles et le mouvement du vent dans les graminées, à écouter les bruissements dans les feuillages. Lorsqu’elle se promène, elle récolte les plumes qui parsèment son chemin. Les plumes aériennes et organiques ; légères, complexes, délicates mais robustes. Les plumes noires, blanches et cendrées dont la beauté discrète rend l’irisation presque fluorescente des barbes des plumes de paons plus stupéfiantes encore.
Elle apprend à filer et à tisser, seule, avec des livres et prend goût à ce travail solitaire et répétitif. Bientôt, ce sont les plumes qu’elle pique et enfile sur du fil de fer pour créer des gris-gris débarbulés. Les premières œuvres nées de ce matériau inattendu prennent des formes vivantes. “Les idées me viennent en travaillant. J’essaye de rester libre et sans attente. J’aime ce qui me parait vivant, poétique, ou ce qui m’étonne moi-même.”
Carole Solvay s’inscrit dans une école d’art, mais comprend après quelques semaines que les contraintes des exercices scolaires ne lui conviennent pas. Œuvrant d’instinct, elle préfère découvrir les choses à son rythme et à sa manière.
“J’ai un grand besoin de calme et de solitude, et mon travail est très lié à mon évolution intérieure. En même temps, il se construit lentement, et cette notion d’espace dans le temps est particulièrement importante pour moi.”
Les travaux de Carole Solvay se nourrissent de la nature, les ciels, l’espace, la lumière et les mouvements à peine perceptibles de l’herbe et des feuillages. Sa vie est pleine d’histoires d’oiseaux. Elle n’a jamais décidé consciemment de travailler avec les plumes, cela s’est fait par hasard, “mais chaque expérience menant à une autre, j’y suis encore.”
En évoluant, son travail prend de l’ampleur, de moins en moins figuré, de plus en plus aérien. Peu à peu, elle fait oublier le matériau et gagne l’espace, sculpte la lumière. Ses plumes se dressent en un jeu de formes et de contours, dessinant dans l’air, cerclant le vide, tressaillant sous le souffle du passage et renaissant sous les traits d’une chrysalide, d’une brume suspendue dans les airs, d’une fourrure verdoyante, d’une colonie de méduses ou de polypes soyeux.